"Les projets européens d'usines de batteries vont continuer à avoir un problème de coût face à la Chine"

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Autoactu.com : La création d’une filière européenne de fabrication de batteries est‑elle en bonne voie ?
Rémi Cornubert :
 L’Europe a pris conscience de l’importance de construire des usines de batteries dans l’Union européenne. La première étape a été le mécanisme IPCEI (projet important d'intérêt européen commun) avec quelques milliards pour aider l’installation d’usines de batteries renforcé par des subventions supplémentaires avec l’autorisation pour les Etats membres de financer les projets. L’Allemagne a accordé une subvention de 900 millions d’euros pour Northvolt, la France a accordé une subvention de 1,5 milliard d’euros pour Prologium.

Autoactu.com : Est‑ce que la France est bien positionnée ?
Rémi Cornubert :
 La France a créé une "Battery valley" où il y a quatre projets : AESC Envision, ACC, Verkor et Prologium. Prologium a une usine pilote qui marche bien à Taïwan et a choisi la France pour son usine de vie série en Europe. Normalement d’ici 10 ans, il y aura plus de 1 TWh installé en Europe.

Autoactu.com : Est‑ce que 1 TWh en Europe, ce sera suffisant ?
Rémi Cornubert :
 Oui et non. En Europe, 60% de la capacité installée est le fait de nouveaux entrants qui n’ont pas d’expérience, tandis que 40% est le fait de fabricants coréens et chinois expérimentés. Une usine de batterie, c’est aussi compliqué qu’une usine de semi‑conducteurs. Le taux de "scrap" est de 50% à 60% la première année quand on n’a pas d’expérience, il est de 20% à 30% la première année pour ceux qui ont de l’expérience. Une usine de batterie ne fait jamais 100% de cellules de bonnes qualité.
La capacité de production installée est donc théorique et la capacité réelle d’une usine de batteries ne dépasse pas 80% parce qu’il faut compter 20% de rebut. Au bout de trois à quatre ans les asiatiques sont proches de 80%, ce n’est pas le cas des européens.
Pour les nouveaux entrants, on estime que la moitié des projets ont un financement incertain, comme cela a été le cas de Britishvolt qui a fait faillite.

Autoactu.com : Qu’est‑ce qui explique ces difficultés de financement malgré les objectifs européens ?
Rémi Cornubert : 
Pour les investisseurs, la fabrication de batteries est un business très risqué. La Chine produit des batteries depuis 15 ans et 80% des cellules sont chinoises. La question est : Est‑il est possible pour un acteur non chinois d’être compétitif ? Quand on parle d’un investissement de 20 millions d’euros, le risque est acceptable. Mais dans la batterie on parle d’investissements de 5 milliards d’euros, ce n’est pas du tout le même niveau de risque.
Il y a un autre point limitant : l’Europe doit sécuriser la chaîne de valeur. Il faut en Europe des projets miniers de lithium et de graphite. Il faut sécuriser le colbalt et le nickel, pour le manganèse il faut des usines de raffinage et des usines de fabrication des matériaux actifs de cathode.
La priorité européenne à court et moyen terme c’est le raffinage. Pour des projets miniers, il faut entre 12 et 15 ans, alors que pour installer des capacités de raffinage, l’ordre de grandeur est de quelques années. Il faut gérer l’aspect environnemental de l’usine avec des procédés propres.

Autoactu.com : Les projets miniers ne sont pas bien accueillis en Europe  ?
Rémi Cornubert : 
Il y a deux projets de lithium en France, il est essentiel de les sécuriser. Le plus important est celui d’Imerys dans l’Allier qui avait une mine de Kaolins. L’autre projet est en Alsace avec du sel de lithium de source géothermique. Il ne faut pas que les ONG et les associations empêchent le projet et il faut que le gouvernement soit garant de l’aspect environnemental. Nous avons besoin de ressources européennes.
Il y a également un autre point important : nous devons développer les machines‑outils pour la fabrications des cellules. Il y a très peu d’acteurs et ils sont coréens, chinois et japonais. Quand on met des milliards d’euros de capex il faut qu’on encourage des acteurs européens.

Autoactu.com : Est‑ce que l’offre de batteries européennes sera en phase avec les objectifs européens de fin du thermique en 2035  ?
Rémi Cornubert :
 Nous avons fait une étude pour Concawe avec trois scénarios (lien vers l’étude) pour 100% de véhicules électriques en 2035. Dans tous les scénarios, la Chine est excédentaire et continue à exporter dans le monde. Comme elle n’a pas accès au marché américain son territoire naturel est l’Europe.
Aujourd’hui, 50% de la capacité en Chine y est utilisée donc l’excédent est de 30% (en tenant compte d'un taux de scrap de 20%) et les Chinois continuent d’en installer. En 2 ans, CATL a installé autant de nouvelles capacités qu’il y en a aujourd'hui en Europe.
Si on ne change pas l’objectif de "Fit for 55" et qu’il n’y a pas une baisse structurelle du marché, il faudra installer des capacités supplémentaires, sinon le delta sera compensé par de l’importation.
Les prévisions que nous avons faites avec les projets connus montrent que nous allons rester dépendant de l’Asie et des acteurs chinois.

Autoactu.com : Les projets européens vont‑ils continuer à avoir un problème de coût face à la Chine ?
Rémi Cornubert : 
Oui, les projets européens d'usines de batteries vont continuer à avoir un problème de coût face à la Chine et sur plusieurs dimensions. Si je reviens sur le capex, il faut 800 millions d’euros pour 10 GWh. Quand on installe une machine pour la production européenne, elle doit être compatible avec les normes européennes. Si elle vient de Chine, il faut l’adapter et son coût est donc 20% à 30% supérieur. La main d’œuvre est plus chère qu’en Chine. Même si l’usine est très automatisée, il faut des opérateurs avec une moyenne de 1.000 personnes pour 10 GWh.
Si on récapitule, le capex est plus cher, la main d’œuvre est plus chère, le "scrap" est plus élevé avec un surcoût de non qualité important et le coût de l’énergie est plus élevé. En Europe, il sera difficile d’être compétitif : le coût matière est contrôlé par la Chine et s’il y a des restrictions, le coût va s’envoler.

Autoactu.com : La fabrication de batterie en Europe, c’est deux fois plus cher qu’en Chine ?
Rémi Cornubert : 
Non pas autant. Le coût va aussi dépendre des chimies. C’est pour cela que le rapport Varin avait listé les matériaux essentiels pour la transition et proposé la création d’un fonds pour les métaux critiques qui vient d’être fait. Ce fonds est géré par Infravia et j’ai la chance d’en avoir été nommé "senior advisor" cette année. Ce fonds va investir dans des projets sur l’amont de la chaîne de valeur avec une première levée de fonds de 1 milliard d’euros.

Autoactu.com : Quelle est la différence entre les projets d’usines de batteries en Europe et aux Etats‑Unis ?
Rémi Cornubert :
 Aux Etats‑Unis, 80% de la capacité des projets seront faits par des acteurs expérimentés, LG, Samsung et SKI, donc ce n’est pas le même niveau de risque.

Autoactu.com : Ce n’est donc pas une bonne idée de vouloir créer des champions européens ?
Rémi Cornubert : 
Oui et non. Mais si on veut des acteurs nouveaux, il faut se rendre compte que cela va être très difficile et les soutenir. Cela ne s’improvise pas. D’ailleurs, beaucoup de ces projets recrutent des personnels étrangers et ciblent des personnels asiatiques.

Autoactu.com : Comment est‑ce que cela va finir ?
Rémi Cornubert :
 Ce n’est pas gagné. L’automobile était dominé par l’Europe, la Chine a émergé. La batterie est dominée par la Chine et l’Asie. Nous allons faire des batteries alors qu’ils sont les leaders mondiaux. Nous n’avons pas le choix mais il faut être cohérent. C’est ce que je dis à la Commission européenne : "Vous donnez des objectifs, vous devez donner les moyens et on a besoin d’une industrie de la batterie forte."

Autoactu.com : Est‑ce que la Commission vous écoute ?
Rémi Cornubert : 
Au début non parce qu’ils pensaient avoir coché la case. Aujourd’hui, ils ont pris conscience des problématiques et m’écoutent beaucoup. Avoir eu raison donne de la crédibilité pour pousser les sujets.

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